mardi 25 décembre 2012

L'équation grecque

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L’idée d’empire et ses traductions géopolitiques tracassent les philosophes depuis longtemps. Par la voix de Socrate, Platon se propose déjà une règle, une limite d’expansion territoriale à la cité : « tant que l’agrandissement ne compromettra pas l’unité de l’État [polis], qu’on l’agrandisse, mais pas au-delà » (La République, IV, 423b). Pour un Grec de sa génération, l’expérience récente a en effet acquis valeur de certitude inébranlable : face à l’empire perse plusieurs fois repoussé, la cité d’Athènes voit ses institutions confirmées comme un signe d’excellence – mais dans la guerre entre les cités grecques, elle se voit accusée par elles de les dégrader en sujets de son hégémonie. De cette époque date la grande perplexité de toute philosophie politique : pourquoi la même république connaît-elle deux existences de signe contraire, celle de la cité (expression géopolitique élémentaire : la boucle et le bouclier de ses remparts) et celle de l’empire (qui traverse, transgresse et soumet l’ailleurs) ?
Sous cette forme, amenée à son équation grecque la plus pure, la question nous hante fidèlement, y compris sur le mode de son déni : les États-Unis commencèrent leur carrière de puissance impériale au nom de la guerre aux empires et donnèrent même à cette conviction valeur doctrinale (l’« exceptionnalisme », Tocqueville passant pour avoir créé le mot, qui lui servait à évaluer le thème et le pathos américains de la Manifest Destiny ; mais l’« exception » qui nous intrigue n’a rien d’américain, qu’on pense au mythe panslaviste de la troisième Rome, où le nom propre qui signifie « hégémonie impériale » implique joliment que la puissance romaine ainsi revendiquée par Moscou via Byzance est légitime : Rome n’est pas une exception puisqu’il y en une troisième, Rome vaut règle ! Le nom propre sert ici une fonction inverse de sa fonction première : au lieu d’extraire un individu d’une série, il l’y inclut et le fond en elle – tous les peuples seraient « romains », ainsi procède l’exceptionnalisme de chaque nation, autrement dit le discours paranoïaque et bien rodé dans lequel toute cité déclare sa capacité à l’empire et la rationalise. « Moi seul je suis comme tous les autres » : limite pathologique de l’idéologie, son involontaire humour noir, celui pratiqué par les Hohenzollern quand ils revendiquaient leurs ancêtres… troyens).
       La question ici en cause a donc bien de quoi inquiéter la philosophie du politique. Elle rend compte d’une constante, jusqu’à maintenant inexpliquée, celle qu’en bonne rigueur platonicienne on énoncera ainsi : toute république (mode normal et réglé) est un empire en puissance (mode anormal et exceptionnel) – aucun empire ne peut se passer de se normaliser, en se présentant, contre l’évidence, comme la variante d’une loi universelle de la vie des républiques. Le modèle grec qui oppose la cité et l’empire les oppose donc mal (et en tout cas, Platon ici consulté) : il met au jour une déformation de la forme cité, à laquelle le mouvement de l’empire ne convient pas, mais il néglige le fait que cette déformation se répète avec régularité et, de plus, se dissimule avec efficacité dans un discours d’apparence rationnelle. Non seulement La République décrit un idéal de société close donc féroce (démonstration de Popper), mais encore Platon échoue-t-il à comprendre la réalité impériale que cet idéal d’ailleurs tyrannique est censé réformer. Épisode édifiant de mésentente du normal et du pathologique, des lois et du régime.
       Plutôt que de ruminer une question d’autant plus inquiétante que la philosophie politique, loin de l’affronter, la refoule, déplaçons-la. Lyotard, dans son Économie libidinale, interroge l’histoire des sciences, des mathématiques en particulier : « débordement continuel des définitions des objets mathématiques par de nouvelles imaginations qui non seulement étendent l’ensemble formé par ces objets à de nouveaux êtres, mais modifient complètement la nature de la mathématique » – et généralise ainsi, en citant Cavaillès : « Ce progrès est dans le temps ce qu’est dans l’espace de l’impérialisme le report des frontières de l’empire : déplacement d’une bordure (d’un abord) au-delà de laquelle il est convenu que c’est inaudible. Mais à peine le limes fixé, un franc-tireur, un chasseur noir, un voyageur solitaire revient et dit : c’est audible, voici comment […] Ces moments […] ne rabattent pas de l’inconnu sur du connu, ils font vaciller tout ce qu’on croyait connaître à l’aune de ce qu’on ne connaissait pas, un instant on entend parler barbare sur l’agora : ils sont à la science comme les derniers quatuors de Beethoven à l’harmonie » (p. 299-300).
       Quant à l’empire, de Platon à Lyotard, à quoi tient la différence ? À ceci qu’au lieu de ramener de l’inconnu à du connu (l’anomalie de l’empire à la norme de la cité), Lyotard pointe et retient le moment inintelligible, la dissonance, la déformation atteignant la limite « monstrueuse » de toute métamorphose.
De même désormais, dans ce Bulletin, notre travail pour les temps à venir : interroger l’idée d’empire non pas dans la perspective géométrique et fixe d’une forme anormale, mais dans la perspective mythologique et mobile d’une puissance multiple. Car nos conditions et notre puissance de vie ne nous deviennent intelligibles que moyennant double optique, celle de la topographie pour nos cités, celle de la topologie pour nos itinéraires. Nous vivons de deux systèmes de domination complémentaires : nous n’habitons pas l’espace-temps (fondation de la cité) sans le parcourir (pulsions d’argonautes). On n’habite nulle part sans savoir transhumer, on ne s’enracine pas ici ou là sans s’imaginer aussi au-delà. Les Grecs avaient l’illimité en horreur. Pour y vivre, et nous n’avons pas le choix, il nous faut les oublier. Difficile conversion. Mieux vaut pourtant l’anticiper que de risquer la rechute en barbarie futuriste ou impérialiste. Pour oublier les Grecs, il suffira de permuter les termes de leur énigme. L’empire forme géopolitique contre nature, démesure extravagante de la cité mégalomane ? Et si au contraire nos villes n’étaient que la forme arrêtée, transitoire, de nos transports ? La forme plastique de nos expéditions et de nos dispersions dans l’illimité de la durée ? Le XXe siècle a vu et fait coïncider la fin des empires et la genèse des mégalopoles – même horlogerie ! même paysage à horizon double ! Nos villes se lançant dans l’illimité démographique, à quoi bon conquérir le cœur des ténèbres où nous cinglons ?
J.-L. Evard, décembre 2012

samedi 15 décembre 2012

Sur la Terre comme au Ciel, et nulle part maintenant

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Une fois au moins, Ernst Jünger ne résista pas au plaisir de se répéter. L’Occident aura engendré trois merveilles d’égale dignité, note-t-il deux fois dans ses Journaux : la Royal Navy, l’armée prussienne et la Compagnie de Jésus. Mais à sa première mention, le 1er avril 1945 (Feuillets de Kirchhorst), cette trinité apparaît… quaternaire : « la flotte anglaise, l’État-Major prussien, l’ordre des jésuites, la ville de Paris. »
Savourer ce mot capiteux exige un peu plus de temps que ne semble d’abord l’indiquer le franc plaisir qu’il suscite. Il faut en effet de respectables ressources d’humour noir pour oser une telle liste quand on a combattu  comme officier allemand dans les deux guerres mondiales. Et le lecteur de Jünger imagine même ces ressources – inépuisables, s’il songe qu’au moment où l’auteur forme cette équation, à quelques jours de la proche capitulation allemande, l’armée prussienne en question a disparu depuis longtemps (et, le 20 juillet 1944, a de plus échoué à reprendre le pouvoir).
N’empêche, l’ex-nationaliste révolutionnaire et auteur des Falaises de marbre (livre qui lui vaudra de figurer sur les listes de suspects de la Gestapo) n’en allonge pas moins une botte quelque peu perfide aux deux corporations rivales des régiments berlinois (laissons ici la capitale française, parangon de la centralisation absolutiste et jacobine du pouvoir illimité qui fascine ici Jünger le révolutionnaire conservateur) : la Royal Navy n’a-t-elle pas disparu, elle aussi, à sa manière, quand l’Inde de Gandhi imposa son indépendance à la Couronne et annonça ainsi au monde la fin de l’empire britannique, donc celle du contrôle monopolistique des mers et des routes maritimes par l’Amirauté ? Quant à la Compagnie de Jésus, ne doit-elle pas d’avoir survécu au reniement de ses fonctions premières auprès des suppôts de l’absolutisme et de la théocratie indirecte ; de s’être épanouie dans la délocalisation transcontinentale et missionnaire qui fit d’elle un support pédagogique et symbolique de l’occidentalisation du monde, autrement dit de sa déchristianisation progressive, celle entraînée par le mouvement général de sécularisation du religieux sciemment promue par les jésuites ?
En somme, des trois merveilles de l’occidentalisation du monde, qu’on m’en cite une seule, suggère Jünger, qui eût tenu bon sous les traits de la flèche du temps ! (Et j’ajoute : si l’équation inclut la Ville de Paris, alors celle-ci, non sans insolence, y figure la Ville éternelle, urbi et orbi. Ternaire ou quaternaire, l’équipollence se maintient inchangée, et le champ magnétique du pouvoir absolu qui s’y chiffre – lui aussi.)
Mais là ne s’arrête pas le conte. Ni le compte et le décompte. Car la Royal Navy y tient lieu de dieu neptunien, l’armée prussienne, bien sûr, d’incarnation de Mars – et les jésuites ? Malin qui dira où les placer dans l’équation géopolitique de Jünger ! En haut, dans l’au-delà, là où Ignace de Loyola aux larmes abondantes s’entretient avec l’Invisible et sa gloire ? En bas, sur terre, sur les routes où les jésuites cheminent et naviguent pour la puissance ? Abrégeons plutôt, affectons-les sans plus tergiverser aux deux cités, la temporelle et l’éternelle, et en tout cas aux immensités intermédiaires communes à ces deux pôles, le Ciel et la Terre, communes aussi aux bottes de l’infanterie de Bismarck et aux sabords des frégates de Nelson.
Oui-da, bien goûteuse et fort capiteuse, la boutade d’Ernst Jünger ! Grâce à elle, nous comprenons aussi pourquoi ce théoricien de la « mobilisation totale » (l’essai ainsi intitulé date de 1930) avait réussi à faire jeu égal avec Clausewitz le maître. Avec Jünger, le politique, d’abord identifié à son substrat exclusivement terrestre par le stratège du XIXe siècle, s’élargit à la surface liquide de la domination planétaire. Mais le coup de théâtre se produit ailleurs encore : Jünger, écrivain protestant qui sait mesurer la productivité géopolitique des générations de catholiques jésuites qui parcourent l’œkoumène, met au jour le ressort théologique de la lutte pour la souveraineté sur terre et sur mer – de l’équation de laquelle ne nous manque donc plus aucun paramètre.
Mais le Ciel ? L' inconnue de l'équation.
        J.-L. Evard, 15 décembre 2012

lundi 26 novembre 2012

L'empire et l'inconscient

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Quand l’armée allemande envahit la Pologne, le 1er septembre 1939, il ne s’en faut que de quelques jours que Freud n’en soit pas témoin, qui va mourir, le 23 septembre, à Londres. Dates et lieux remarquables : le IIIe Reich, avorton nationaliste et racialiste de l’empire carolingien, rallume en 1939 la guerre des empires suspendue en novembre 1918, Freud ayant trouvé refuge en 1938 dans la métropole de l’empire victorien après que, sur intervention personnelle de Mussolini auprès du chancelier allemand, il a été relâché par la Gestapo de Vienne. Ses derniers jours ne touchent pas seulement aux premières heures de la guerre mondiale recommencée, ils récapitulent et condensent tous les moments décisifs d’une carrière mentale et poétique d’adversaire farouche de la forme empire de son époque. L’histoire de la psychanalyse et le projet freudien ne font sens profond qu’à la lumière du défi jeté à la simple idée d’empire, consciente et inconsciente, dès les premiers travaux du jeune médecin.
Délimiter, desserrer et régler l’empire de l’inconscient sur la vie du désir : l’objectif de la psychanalyse n’admet pas simplement qu’on le rapproche, comme par astuce frivole, de son équivalent géopolitique, le duel de la cité (Athènes contre les ennemis perses) et de l’empire (Athènes contre les voisins grecs) – il exige ni plus ni moins cette analogie. Freud lui-même y a insisté sans ambiguïté, en incriminant ou en suspectant la légitimité de tous les grands empires de son époque. Pourquoi n’a-t-on pas encore scruté de près cette constante de son œuvre ?
De toutes ses ingérences, la plus connue visait l’empire américain. « Je leur apporte la peste », affirme-t-il à Jung peu avant de débarquer à New York pour un cycle de conférences. Aux États-Unis il vouait de longtemps une attention particulière : écrit en anglais et à quatre mains avec un ambassadeur américain apparemment très en froid avec sa propre administration, son Portrait psychologique du président Woodrow Wilson n’en fait pas mystère, lui, Freud, « doit commencer […] par l’aveu que la personne du Président américain, telle qu’elle s’est élevée à l’horizon de l’Europe, m’a été, dès le début, antipathique, et que cette aversion a augmenté avec les années à mesure que j’en savais davantage sur lui et que nous souffrions plus profondément des conséquences de son intrusion dans notre destinée ». Le Viennois dont la Maison-Blanche avait ruiné l’empire – la maison de Habsbourg s’effondrant en 1918 devant les armées des pays fondateurs de la Société des Nations – ne nous concède pas seulement, et volontiers, qu’il est juge et partie, psychohistorien partial, presque vindicatif : sans ambages, il nous dit pourquoi. Wilson a détrôné les Habsbourg. Seconde mort de Charles Quint. L’Autriche loyale prend le deuil. On nous prend le roi, je leur envoie le ça.
Mais Freud, comme chacun de nous, se partage entre plusieurs appartenances. Sujet de l’empereur François-Joseph humilié par le Nouveau Monde qui fait s’écrouler les vieux empires, Freud le Juif de Moravie est aussi opprimé par cette couronne, et plus encore dans ces années de genèse des premiers mouvements antisémites virulents. Dans sa somme superbe, Vienne fin de siècle, Schorske, l’historien, a reconstitué ce que l’invention de la psychanalyse dut à la marginalité involontaire de son fondateur dans le milieu médical et universitaire. L’inconscient et ses ruses furent choisis par Freud, dit Schorske, comme le talon d’Achille des sciences de son temps, mais aussi de l’establishment austro-hongrois. Choisis ? Oui, car transformés en thème d’une interprétation subversive qui est aussi une méthode thérapeutique. Cette « subversion », Freud l’a lui-même rattachée à l’esprit de sédition qui l’anime dans ses jeunes années : « comment m’imposer, moi juif, dans ce milieu non juif, souvent hostile et toujours discriminant ? » Composante « punique » de la persévérance de Freud : il s’identifie, se souviendra-t-il, à Hannibal, le « Sémite » qui dispute à Rome l’empire de la Méditerranée.
Donc, encore un scénario d’empire, et à entrées multiples : la Vienne des Habsbourg, par transposition, prend les fonctions de la Rome antique ; sous le masque et le nom du héros carthaginois Freud réparera le malheur des Juifs vaincus par Titus et insultés par Karl Lueger, le candidat des antisémites à la mairie de Vienne. Freud, ici, rêve à la manière de Disraeli écrivant Tancrède : forcer l’empire (ici britannique, là germanique) à remettre le peuple juif dans ses droits premiers. Et si l’empire y résiste, plutôt abattre l’empire – ou le gouverner – que de se résigner. Ne daubons pas la résolution mise à exécuter ce plan : entre les lignes, Freud comparera Wilson au président Schreber (le délirant que Freud allait rendre célèbre en commentant ses Mémoires), car il ne doute pas sous-entendu : « lui non plus » d’« entretenir des rapports personnels intimes avec le Tout-Puissant ». Le wilsonisme comme psychose maniaco-dépressive ?
Il y eut donc bel et bien thème récurrent, et d’intensité quasiment obsessionnelle dans le cas de Freud. Pour produire une telle résonance, il fallait pourtant bien que ce leitmotiv engageât plus que sa seule personne. Certes, la conscience juive, au cours du XIXe romantique, avait cultivé ces figures allégoriques de la restauration du peuple dispersé à la périphérie de l’empire (le Romancero de Heine leur a servi de texte phare). Chez Freud, un élément de plus s’ajoute au raisonnement : dispersé par un empire (Rome), le peuple juif ne se rassemblera qu’en les combattant tous (représentés par le Capitole de Washington DC mis au pilori par Freud). D’où ma question : entre l’empire de l’inconscient et l’inconscient de l’empire, peut-on imaginer quelque relation ?
Oui – et perverse sans doute.
J.-L. Evard, 26 novembre 2012


mardi 20 novembre 2012

La géopolitique dans tous ses états

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Dans Le Peuple-monde, son livre de 2011, Alexandre Adler rêve à haute voix des moyens de revenir au grand style politique herzlien et, pour Israël, de « se défaire enfin des impossibles territoires occupés, sans pour autant donner aux Arabes immédiatement environnants le sentiment de leur triomphe ou de leur impunité à venir ». Et d’entrer sans plus de circonlocutions dans le détail du projet : « un Israël allié de la Chine en construction, réconcilié pleinement avec la Turquie moderne et un Iran post-théocratique, protégeant efficacement la monarchie jordanienne au moment où l’Arabie saoudite entre dans son “temps des troubles”, ne donnerait pas au nationalisme arabe le plus impénitent le sentiment de capituler devant l’accumulation d’une force plus grande » (p. 104).
Voici pour la technique envisagée, fort convaincante en apparence puisqu’elle se fonde en bonne connaissance de cause sur l’évidence le plus souvent occultée, à savoir que les Arabes palestiniens ont l’extrême malchance, depuis la fin du mandat britannique en 1948, de vivre dans l’angle le plus mort de tous les grands champs géopolitiques successifs du siècle (celui de la guerre froide de l’Est et de l’Ouest, puis la fracture du Nord et du Sud, et enfin, l’assomption actuelle de l’océan Pacifique dans le jeu des grandes puissances : ainsi aucune d’entre elles n’a-t-elle d’intérêt urgent à militer pour mettre fin aux tourments arabes palestiniens – autant le jeune sionisme avait su occuper le point le plus sensible de la concurrence des empires européens et exploiter leurs parties de poker pour forcer par obstination sa propre chance, autant les Arabes palestiniens montrent-ils une égale et symétrique aptitude à ne pas appliquer cette recette, même au sein du monde arabe en fragmentation).
Mais la technique proposée par A. Adler aux dirigeants israéliens pour détourner la menace qui pèse sur le pays, comment en résumer la pensée, la clef théorique ? « Renouer avec le réalisme herzlien de grande ampleur, en conceptualisant une diplomatie sioniste à l’échelle de la mondialisation, où les adversaires potentiels internes et externes de l’islamisme deviendraient les alliés privilégies d’Israël, et la Chine, en outre, un partenaire stratégique prioritaire, ouvrant la voie à un rapprochement ultérieur avec le chiisme iranien moderne, le laïcisme turc et la monarchie arabe des Hachémites jordaniens » (id., ibid.).
D’une proposition à l’autre, la différence saute aux yeux, et nous comprenons alors que, pour la politique-fiction, l’auteur nourrit bien moins d’aversion qu’on ne l’attendrait d’un chroniqueur géopolitique : la première formulation énumère des acteurs réels, en situation (des États, des régimes, des alliances), la seconde mentionne surtout des –ismes, autant vaut dire des vues de l’esprit, des constructions idéologiques, baudruches par nature les plus fumeuses qui soient. On parlera donc d’un vice de forme, affectant l’ensemble du raisonnement qui procède par amalgame de composants incompatibles, de genres hétérogènes – des équations de puissance géopolitique, d’une part, des passions aussi extrêmes que confuses, d’autre part ; des formes susceptibles d’un traitement juridique, d’une part, des mythologies obscures, d’autre part. Les deux genres ainsi maniés ont chacun leur logique, mais ces logiques ne sont pas substituables.
Du moins ne le sont-elles jamais aux yeux du classicisme politique, et le sont-elles toujours, dans ce même domaine, à ceux du romantisme. Le vice de forme risqué par A. Adler qui tente de raisonner à la fois comme un classique et comme un romantique de la géopolitique ne prêterait pas à conséquence si, au-delà des journalistes qui commentent, il ne trahissait pas la profonde perplexité des responsables qui décident – en particulier face à l’inconnue du nucléaire iranien, parmi bien d’autres missiles de l’antisémitisme de retour. La joute du classicisme et du romantisme politiques date certes de plus de deux siècles, et le livre d’A. Adler en réactive (mais à son insu) toute la signification la plus substantielle : elle servit de scène primitive aux religions séculières, elle donna son langage aux premières religions politiques (et, dans le cas du sionisme, de la manière la plus nette et la plus délibérée). Montesquieu ou Rousseau ? Machiavel (Jabotinski et Weizmann) ou Mazzini (Buber et Scholem) ? Politique ou théologie ?
Peu importe le choix de chacun puisque notre condition politique à tous se conforme à la loi de cette alternative, depuis tant de générations. Mais ce choix n’inspire l’agir – le conflit des volontés – qu’à la condition de se savoir tenu à ce qui au juste en règle la durée (le poids d’efficacité) et l’intelligibilité (la part de sens commun). Quand un auteur politique proteste de sa fidélité aussi bien au « communisme authentique des militants juifs » qu’à l’esprit de résistance éthique dans l’exil enseigné par le Talmud, aussi bien à la « révolution » de 1848 qu’à la « révolution » scientifique incarnée par Einstein ou Jakobson ou à la « révolution » dodécaphonique réussie par Schönberg, il fait d’abord l'aveu que, comme à tous les romantiques convaincus, il lui indiffère de savoir un jour où vont au juste toutes ces multiples – révolutions. Cette indifférence emphatique des révolutionnaires au sens de la Révolution relève d’une… tradition, y compris et surtout en tradition juive, où s’enracinent les allégories théologiques originaires de l’apocalypse et de la rédemption. Elle n’a d’inconvénients graves qu’en politique, où elle s’appelle : l’indécision.
J.-L. Evard, 20 novembre 2012

dimanche 11 novembre 2012

Pour cause de panne



En hommage aux Gueules cassées
L’avarie qui, la semaine dernière, a paralysé des heures durant une ligne de métro francilienne  (« RER ») et mis en émeute des dizaines de milliers d’usagers – la foule exaspérée envahissant la voie pour échapper au supplice de l’inertie de masse – mérite d’autant plus la réflexion que les divers Agents responsables de la grande machinerie en donnèrent des explications hétéroclites. La panique aussi avait sans doute commencé de gagner le cerveau de l’entreprise puisque, dans un de ses communiqués, elle invoqua la responsabilité de la foule irresponsable : comment rétablir le trafic, n’est-ce pas, sur une ligne envahie par des hordes de brebis furieuses ? Même le Bon Pasteur y renoncerait.
L’épisode, non seulement nous le savons typique du régime des transports en commun de la région parisienne, mais encore devons-nous y reconnaître un classique de la vie en zone post-industrielle. Car ses grandes machines mettent en panne, tels les bricks et les goélettes de la marine à voile – à ceci près que leurs pannes surviennent non comme une manœuvre concertée mais tel un acte manqué. Thèse : la Panne est à un réseau post-industriel ce que, depuis Freud, un acte manqué dit de l’âme au fil de ses besognes les plus modestes. Comme il y a une psychopathologie de la vie quotidienne, de même devons-nous concevoir une économie négative de l’existence post-industrielle, une tératologie de la puissance. Question : de quel désordre premier, de quelle souffrance retenue la Panne est-elle l’acte manqué, l’heure de vérité par bévue, l’affect captif libéré par inadvertance, la déraison rationnelle ?
Première donnée : Réseau, ou grande machine, ou « macrosystème » (Alain Gras, 1993), autant d’appellations équivalentes pour le même savant agencement, une horlogerie dont la performance visée dépend de l’unisson de plusieurs sous-systèmes dont chacun possède une seule compétence spécifique non substituable. Un réseau de transport ou de communication, un complexe de services, de nos jours, n’obéissent pas au morcellement simple caractéristique de la division mécanique du travail industriel : ils articulent et intègrent plusieurs fonctionnalités complètes, véritables « régions » logistiques dont chacune représente en elle-même un « monde » –  à l’image d’un animal dont le corps se compose de nombreux organismes, interdépendants certes et  doués pourtant, chacun, d’une véritable vie animale, y compris son mode parasitaire. L’ensemble des opérations nécessaires à un avion gros transporteur en plein vol illustre à la perfection le très haut degré de régulation et de fragilité propre à tout macrosystème. Dans le cas des transports en commun de la métropole parisienne : chaque rame ne roule que si chaque segment des vastes bureaucraties coresponsables (RATP, SNCF, EDF, corps préfectoraux, etc.) raisonne à l’échelle du ressort tout entier. Une rame ne roule que si quelque horloger en a d’abord calculé le mouvement parmi des centaines. Il n’y a pas de rame comptée une à une, mais des vagues, une houle, une escadre, des strates – et un stratège (un compositeur, un chef de chœur).
Deuxième donnée : comme un corps vivant ne s’individualise dans son milieu d’origine qu’en privilégiant certaines fonctions et qu’en admettant les handicaps complémentaires du coup normalisés (l’homo sapiens, optiquement surdoué, infirme acoustique et olfactif), de même un macrosystème ne nous soulage-t-il de la pesanteur et de la massivité industrielles qu’en optant pour les valeurs de flux, d’apesanteur, d’immatérialité, d’accélération, de dissipation. Dans le duel ontologique de l’énergie et de ses stases matérielles, il choisit la première (et de préférence ses valeurs quantiques), il déclare une guerre féroce à la matière (son tort : s’accumuler, sédimenter, ralentir, encombrer). Chez les managers, cet idéal post-industriel se nomme : « flux tendus » ; chez les philosophes, « lignes de fuite » (Deleuze, Lyotard, Toni Negri) ; chez les plasticiens, « machines célibataires » (Marcel Duchamp), ou « installations » (toute la vidéoculture et son immense imposture d’art). L’industrialisme se fondait sur le principe d’un moteur et d’une mobilisation résistant à de l’inertie. L’époque post-industrielle se fonde sur celui du contact (électronique) et de la trace (informatique) en dissipation potentielle (pas de stocks, rien que des simulations), en réticulation neuronale, par grappes connectiques.
Troisième donnée : les systèmes industriels redoutaient la panne, les macrosystèmes post-industriels l’engendrent et l’anticipent d’eux-mêmes car l’économie du flux tendu présuppose, en amont et de principe, qu’à la différence du système industriel fermé sur lui-même comme une usine derrière ses hauts murs, le macro-système se comprenne comme technique d’une ouverture variable, et réglée sur un milieu instable. L’idéal cybernétique qui oriente l’époque se fonde sur le principe de la rétroactivité des propagations. Or, par nature, celle-ci reste au mieux partiellement calculable puisqu’elle exprime le rapport sériel de certaines fonctions privilégiées à un milieu par définition non fini, donc non mesurable. L’idéal cybernétique procède comme faisait l’intelligence militaire à l’époque des guerres hyperboliques : jusqu’à un certain seuil établi d’avance par les états-majors, le taux des pertes en hommes avait une signification positive. De même par exemple pour le macrosystème des transports et le chiffre des accidents de la route, dont le seul défaut est leur nom (ils n’ont, je viens de le dire, rien d’accidentel, mais expriment la vérité statistique du flux tendu – de la ligne de fuite des automobilistes ceinturés perinde ac cadaver à leur bolide ou, dans le cas des systèmes d'assurance, celle de la redistribution mutualisée des coûts médicaux).
À quoi tient donc la différence élémentale du mécanisme et du flux tendu ? Le mécanisme pouvait se rompre (moment dramatique de la panne), le flux peut tout au plus se détendre. La grande inconnue de ce nouveau régime : tout flux peut se détendre au point de  s'inverser à tout moment, irradier au lieu de cautériser mais il ne le signale pas et tue sans coup férir. Moment de la commutation négative. Un embouteillage, des métastases, des masses de monnaie électronique sans couverture identifiable : autant de flux ambigus, indécis, donc maléfiques. Énigmes désobligeantes de l'entropie.
Conclusion : la Panne, nom de notre désir plus indécis et mieux assouvi qu’il ne le croit. Nous la redoutions (grisou, déraillements, krach boursier), nous l’avons désormais domestiquée, naturalisée, absorbée : human bombe, serial killer, la crise sans fin, la substance comme accident en série, la création comme acte manqué – bégayé à perpétuité. En tout ingénieur digne de ce nom se dissimule un gnostique heureux, un dieu bègue.
J.-L. Evard, 11 novembre 2012

jeudi 8 novembre 2012

Pour une chronopolitique, suite

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« L’Amérique n’est donc pas seulement la première superpuissance globale, ce sera très probablement la dernière » : l’homme qui prophétise aussi hardiment ne parle pas seulement des États-Unis, mais aussi en Américain puisqu’il s’agit de Zbigniew Brzezinski, méninge géopolitique du président Carter entre 1977 et 1981. En ces termes et dans cette perspective, il concluait, en 1997, Le Grand Échiquier, livre où il examine le système (ouvert) et le jeu (instable) des interactions entre les quelques pôles de la concurrence des hégémonies.
Dix ans plus tôt, Bernardo Bertolucci avait signé le beau film Le dernier empereur : après l’effondrement de la dynastie régnante dans les affres de la révolution chinoise de 1911, que devient l’héritier déchu et désœuvré ? Brzezinski déroule le fil du temps en sens inverse et tente d’imaginer le monde une fois le dernier empire disparu. Nous intéresse ici non pas le détail des raisonnements qu’il tient pour présenter et pour étayer son hypothèse, mais ce fait intellectuel tout de même peu ordinaire : un discours d’apparence méthodique rigoureuse sur l’empire, et sur cet empire-là, empire se représentant et se déclarant lui-même en sursis d’hégémonie, et ce sursis lui-même, non pas comme le nom choisi par pessimisme pour déplorer quelque incapacité progressive à régir demain la pax americana, mais au contraire comme le présage d’une prochaine régulation collective de l’échelle des puissances – ou encore, pour parler contemporain, comme le prélude d’un « véritable » multilatéralisme (« véritable » : exprimé dans la langue d’une rationalité juridique universellement reconnue).
« La dernière superpuissance globale » : l’idée surprenante d’un empire soluble dans quelque collectivité cosmopolitique raisonnable ne varie pas seulement le bon vieux lieu commun de l’« équilibre des puissances » hérité de la diplomatie d’Ancien Régime, du temps de la rivalité continentale des Bourbons et des Habsbourg. Par sous-entendu et par association, elle évoque aussi et surtout l’exception qu’elle présume manifestement dans l’histoire américaine récente : elle déclare en effet les États-Unis « première superpuissance globale » – définition recevable à la condition seulement d’ajouter que cette superpuissance-là n’est pas tant la « première » (par ordre chronologique d’apparition) qu’elle n’est plutôt, depuis la disparition de l’empire soviétique, la seule. En bonne logique, on doit donc objecter à Z. Brzezinski que son raisonnement prospectif méprise ses propres prémisses : qui fait figure de seul cas d’espèce dans son propre genre ne saurait en aucun cas se donner de surcroît comme le dernier de sa série, sauf au Pays des merveilles décrit par Lewis Carroll. Tertium non datur : ou bien les États-Unis constituent un empire de plus dans la longue histoire des empires (et ils peuvent alors très raisonnablement se demander s’ils en seraient l’ultime exemplaire), ou bien nous passerions dans la zone des fantasmagories, comme elles abondent dans les romans et dans les mythes historiques. Héritier de l’Indépendance arrachée à l’empire britannique, tout Américain se comprend justement comme un champion de la guerre aux impérialismes et comme la première des nations d’après les empires. Ce capital symbolique opère comme une idiosyncrasie  infestant secrètement cette philosophie impériale de l’histoire universelle. Nous sommes le dernier empire, dit Brzezinski, parce que nous n’en avons jamais été un. Comprenne qui peut – mais ainsi se code urbi et orbi le discours américain depuis la proclamation des quatorze points programmatiques du président Wilson entrant dans la lice de la guerre européenne.
Il se peut que, dans la position géostratégique qui est aujourd’hui la leur, et depuis qu’ils ne partagent plus le gouvernement du monde avec une superpuissance jumelle, les Etats-Unis se sentent « seuls ». En ce sens, le paralogisme de Z. Brzezinski s’entendrait comme un involontaire aveu nostalgique : comme il était… simple, le monde bipolaire ! Pourtant, le « seul » sur quoi insiste notre auteur ne dit pas seulement la solitude de l’empire esseulé parce que lâché par son partenaire. (Cette solitude vaut anomalie, cette anomalie vaut stigmate, ou complexe – le complexe de la nation hyperpuissante, avide de normalité...) Non, ce « seul »- là vaut aussi et surtout nombre cardinal : d’empire, il n’y en a plus qu’un (et il est américain), et non pas deux, ou plusieurs. D’où sans doute l’acte manqué réussi par ce raisonnement spécieux : comment raisonner juste quand on se trouve si seul, si longtemps ?
Vertigineuse, cette unicité – certes ! Et sous la poigne de ce vertige, l’entendement géopolitique s’égare. Le pathos du sursis n’a ici d’autre fonction que celle de la fausse fenêtre : proposer une symétrie rassurante, mettre la fin prochaine de l’hégémonie en vis-à-vis de son commencement atypique, comme si le fait national américain originaire, si atypique (qu’on pense à la doctrine Monroe ! ce cas unique d’abstinence géopolitique), présageait aussi et par là même d’un dénouement d’exception, d’une sortie de l’histoire sans précédent dans l’histoire.
Là se noue l’événement décisif : Rome, censée gouverner le monde, n’y pourvoit qu’en se dupant elle-même. Elle parle géopolitique quand elle pense chronopolitique. C’est ce que comprend Hermann Broch quand, en 1938, il commence d’écrire La Mort de Virgile. À quand le poète du dernier empire atlantique ?
J.-L. Evard, 9 novembre 2012

mardi 30 octobre 2012

De Kandahar à Tombouctou

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Si le calendrier annoncé à la récente session du Conseil de Sécurité des Nations Unies s’applique à la lettre, les premières opérations militaires contre l’Aqmi basée au Nord-Mali commenceront au début de l’année 2013. À plus d’un titre, cette échéance représente d’ores et déjà un tournant considérable du conflit avec l’islamisme ultra. Son extension à l’Afrique Noire, le retour au désert comme théâtre de la guerre, la pole position politique et logistique de la France dans la coalition qui se dessine et la primordiale fonction pivot de l’Algérie quelques années seulement après la fin de la guerre civile – autant d’ingrédients dont la sèche énumération indique par elle-même pourquoi le « front » sahélien qui se dessine maintenant, simultanément à la guerre civile syrienne et en sus du « front » afghan et pakistanais, doit faire l’objet d’une anticipation approfondie.
         Comment définir au mieux le dénominateur commun aux quatre composants respectifs des hostilités à venir ? Tous se grèvent d’une part considérable d’impondérables spécifiques, et dont le caractère de véritable nouveauté, dans le conflit transcontinental avec les équipes terroristes nées du 11 septembre, doit même particulièrement retenir l’attention.
La localité du conflit, tout d’abord : la destruction infligée, à Tombouctou, aux archives et aux monuments de la tradition religieuse et mystique musulmane réveille certainement là-bas – curieuse ironie des durées longues de l’histoire – la mémoire des exactions arabes du Moyen Âge en territoire noir et païen. Les mosquées maliennes plastiquées l’été dernier valent réplique des bouddhas pulvérisés par les talibans quand ils reprirent pied dans les hautes vallées afghanes. La manière ne diffère pas : la déclaration de guerre commence par une dure provocation théologique, l’iconoclastie la plus spectaculaire. Inaugurée en Asie, voici la profanation infligée à l’Afrique Noire  et par là même à la frontière, aussi, de vastes régions chrétiennes, que l’événement ne peut que soucier. Pour la première fois, l’homme noir, sur ses terres d’origine, se trouve happé dans la zone du conflit – et sommé de prendre parti. Certes, il nous faut déjà l’imaginer terriblement embarrassé…
Le théâtre du conflit, ensuite : après incursions dans l’univers de la métropole (Paris, New York, Madrid, Londres), puis dans celui des altitudes du pays et du maquis profonds (tribus montagnardes, clans familiaux, unités combattantes), la guerre investit maintenant le désert. Elle adopte ainsi un troisième genre, d’autant plus redoutable qu’elle ne joue pas seulement des propriétés de cette étendue, mais aussi des porosités très accentuées de ses frontières. Les plus de 1400 kilomètres de frontière avec le Sud algérien en constituent l’exemple le plus net. Comment les troupes classiques des Etats africains, peu aguerries, prévoient-elles de maîtriser de petits groupes automobiles de guérilleros (dont une bonne part de professionnels, mercenaires ou militants) dispersés sur l’équivalent de dizaines de départements français de sable ? Dans le désert, on fait la guerre (on lui consacra même des traités), mais guère la police, même si équipée d’armes électroniques.
Quant aux deux ingrédients les plus politiques de notre ensemble, on voit tout de suite qu’ils condensent en eux le maximum des impondérables en jeu dans les préparatifs en cours : mandatée par le Conseil de Sécurité, la France ne s’en embarque pas moins au Mali en l’absence, et pour cause, d’un consensus proprement européen – ce qui d’avance rétrécit sa marge de manœuvre géopolitique, laquelle consiste en substance en une solidarité franco-américaine plusieurs fois vérifiée en cette matière. Sa marge de manœuvre propre, celle de leader stratégique de fait d’une alliance de troupes africaines seules à intervenir au sol, elle ne peut l’augmenter qu’à une condition au moins, qui tient de l’impossible : que simultanément aux opérations franco-africaines au Nord-Mali l’Union européenne comme telle devienne puissance militaire réelle…
S’agissant de l’Algérie, le silence éloquent dont son gouvernement honora il y a trois jours les requêtes fermes de la diplomatie américaine en dit long. Hilary Clinton a regagné ses bureaux, mais bredouille. L’Algérie a d’avance trop d’objections sérieuses à l’idée d’un contrôle franco-américain serré de l’espace sahélien pour pouvoir, pour vouloir vraiment servir de pilier bien assis à la coalition encore incertaine qui se forme, lentement d’ailleurs.
Que prévoir de cette soudaine accumulation d’impondérables ? Que par effet mécanique de synergie ils ne tarderont pas à introduire, sur le plus plat des théâtres de la guerre, plus d’imprévu qu’il n’en faut à qui veut décision rapide.
J.-L. Evard, 30 octobre 2012

dimanche 28 octobre 2012

Pour une chronopolitique

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Interrogé un jour sur ses premiers essais, Paul Virilio, qui venait tout juste de baptiser « dromologie » leur perspective et leur contexte, ne parut pas attacher autrement d’importance au vocable. À bon escient. Nos générations, orphelines du latin et otages du franglais, ne lésinent pas sur les éphémères mots-valises qui bariolent le décor de l’american way of life, comme si leur mousse ne favorisait pas l’idolâtrie bavarde de la technoscience. Et bien des savoirs se porteraient moins mal s’ils se contentaient en effet de bien décrire leur objet, sa position possible ou actuelle dans les immensités où s’improvise l’existence. Du destin de l’œuvre originale de Paul Virilio il faut en revanche considérer la réception parmi les disciplines établies, aujourd’hui. Car c’est là un point qui, loin de ne concerner que les lecteurs de P. Virilio, savant modeste, donne vue, et à bonne altitude, sur l’avenir de la pensée géopolitique, souvent immodeste, et sur les conditions de sa refondation.
En substance, ma thèse se résume à un simple test : feuilletez les cahiers de la revue Hérodote, dont les mérites indiscutables se passent depuis longtemps de longs discours – vous n’y trouverez que par exception mention des livres de Virilio ou référence à ses essais. Qu’est-ce à dire ? Ceci, hélas : les experts de la Terre comme distance et répartition géographiques (nos parcours dans l’espace) ne se sentirent qu’à peine interpellés par un expert de la Terre comme vitesse et durée (nos parcours comme accélérations). Test qui s’enrichit d’une signification supplémentaire quand on observe l’écho réservé dès les débuts (1976) par Hérodote à l’œuvre de M. Foucault : à l’historien et généalogiste des spatialisations indiscrètes et inquisitoriales de la domination et de la souveraineté, les géographes se référèrent avec autant de déférence qu’aux fondateurs de leur faculté et autres présidents de jury d’agrégation. Épisode à deux faces, que je ne surinterprète pas si j’y lis la reconduction d’un formidable handicap de l’intelligence, qui sévit d’ailleurs aussi comme un non moins formidable préjugé philosophique : sous nos latitudes, la mésentente de l’espace et du temps est la règle, et leurs noces – l’exception. Plus précisément encore : dans cette mésentente, l’espace s’arroge la préséance, et ses « spécialistes » ne laissent guère de chances aux explorateurs de la durée. Virilio n’est pas le premier à en faire l’expérience : même Bergson, quand il rencontre Einstein à Paris le 6 avril 1922 à la Société française de Philosophie, fera lui aussi chou blanc, et ne déstabilisera pas l’image du monde newtonienne revue et corrigée par le théoricien de la relativité.
Changeant d’échelle, je passe maintenant de ces deux exemples à la thèse, à charge pour moi de l’étayer (il y faudra plus qu’un billet, je ne fais que l’introduire) : l’invention de la géographie exacte (à savoir, l’extension à l’étendue terrestre de la mathésis cartésienne) signifie que l’Occident, qui vient de se lancer dans la conquête militaire, théologique et commerciale de l’œcoumène, vivra désormais du clivage de l’espace et du temps. (Rien ne le prédestinait à cette décision ; la chrétienté d’avant Descartes vit à l’horizon d’un espace-temps muni d’une étendue et d’une durée indissociables, comme l’était l’espace-temps de Dante ou celui de Joinville.) Une fois prise, cependant, la décision de ce clivage introduit de l’irréversible : aujourd’hui, nous vivons de la même philosophie spontanée de l’espace-temps que les conquérants du Nouveau Monde et les élèves de Cassini (axiome tacite de cette « philosophie » : « d’abord l’Espace comme étendue donnée à mon mouvement, ensuite, et ensuite seulement, le Temps, projection mentale et ombre portée de la durée sur l’infini mécanique de l’étendue inerte »).
Dans le cas de Virilio et de sa non-réception par la géographie et la géopolitique, les conséquences de cette hégémonie de l’espace impérial sur les durées de l’existence ont de quoi nous alarmer plus vivement que l’échec de Bergson face à Einstein – et pour une raison évidente : la quantité de savoirs concernés par ce nouvel épisode du conflit occidental entre l’espace et le temps, cette quantité s’avère immédiatement considérable, s’y engage en effet un ensemble significatif de sciences physiques et de sciences humaines, solidaires parce que coresponsables de l’écosystème humain.
Pour s’orienter dans cette passe dangereuse, il ne suffira donc pas de revenir, en historien des sciences, sur le passé de la discipline dite « géopolitique ». Il faudra surtout, en philosophe, interroger les effets prolongés de la censure imposée au temps humain par les experts de l’espace et leur préjugé mécanique. La Terre a disparu, il n’y a plus que des territoires, produits et objets de l’activité post-industrielle : cette condition anthropologique nouvelle qui est la nôtre implique que, désormais, le temps nous est visiblement compté, ce que résume la méditation du « sursis » enseignée par Günther Anders. Il urge de réviser le préjugé moderne qui ne nous garantit même plus maîtrise et possession du monde que nous essayons d’habiter.
J.-L. Evard, 28 octobre 2012

lundi 15 octobre 2012

Icare est revenu

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Nous qui, depuis le premier billet de La Quinzaine géopolitique, disons et répétons que les grandes puissances ont pris d’assaut la stratosphère au cours de la Seconde Guerre mondiale et qu’elles l’aménagent dans l’espoir de mieux régner sur Terre comme au Ciel – nous saluons fraternellement Felix Baumgartner, le premier homme à réussir tout nu la traversée de ces espaces-temps d’outre-sphère et d’après la fin de l’histoire !
Un Norvégien, Amundsen, en posant le premier le pied sur le pôle Nord, avait mis fin aux Temps modernes inaugurés par Christophe Colon. Un Autrichien, aujourd’hui, met fin à l’ère Amundsen en plongeant en navigateur solitaire dans des mondes que ne transgressaient jusqu’à maintenant que nos sondes et leurs longueurs d’onde. Les voies des Titans restent décidément aussi impénétrables qu’au premier jour. Les fils de Prométhée se suivent et répètent la règle de toujours : obscures, leurs origines ! Les peuples d’Europe se disputent en vain l’honneur de se prétendre la patrie du découvreur peut-être juif de l’Amérique, Amundsen et Baumgartner viennent de nations modestes, anciennement glorieuses et qui n’ont plus qu’un peu de neige en commun !
L’ouverture de la stratosphère à l’homme physique qui la parcourt en chute libre, sans le moindre radio-habitacle, vaut présage exceptionnel pour l’époque. "Monde" : le sens même du mot le plus banal de notre langage déjà si fatigué vient de changer - Icare, sous nos yeux, a de nouveau jeté le gant et lavé l’indignité de sa mort de petit morveux œdipien. Avec lui recommence l'histoire de l'aérospatial : échappement libre ! Cordon coupé !
Felix Baumgartner, felix Austria ! Tous les hommes sont tes frères : notre planète couturée de pipe-lines, accablée de déchets ménagers et nucléaires, asphyxiée des immondices du surpeuplement, nos cieux retournés et brassés par les turbines, les drones et les lasers, nos stades pollués par les ripoux du doping de masse, nos dimanches trottinés en jogging-pyjama – des forfaits sournois de notre destin technique tu ne fis qu’une bouchée !
Felix, ni futuriste ni somnambule : ange silencieux, chute heureuse, gravité rédemptrice !
J.-L. Evard, 15 octobre 2012

jeudi 11 octobre 2012

L'OTAN devant la Grande Porte


Commentant l’arraisonnement turc d’un A320 syrien chargé d’informatique militaire d’origine russe, l’excellent Bernard Guetta exposait ce matin jeudi 11 octobre le dilemme qui handicape l’initiative stratégique d’Ankara et explique les curieux méandres de l’affrontement entre les deux régimes : il faut dissuader Damas de porter la guerre contre les opposants à Bachar al Assad réfugiés en Turquie parce qu’il n’est pas d’atteinte à la souveraineté turque qui tienne – mais à l’inverse il faut ménager Damas comme élément du statu quo régional qui, pour Ankara, comprend aussi la poursuite des opérations militaires contre les indépendantistes kurdes. Trois conflits au moins s’enchevêtrent donc à la frontière des deux États : la guerre civile syrienne qui la chevauche depuis de longs mois, la tenace guérilla kurde en territoire turc, qui depuis des années sait l’appui dont elle dispose auprès de la minorité kurde de Syrie, la translation et la transformation de ces deux conflits en une tension croissante, en une guerre perlée entre la Turquie et la Syrie.
À quoi s’ajoute la place décentrée et excentrique de la Turquie dans l’OTAN, que ces trois guerres proche-orientales divisent depuis le premier jour, et cela pour deux ou trois raisons dont les effets pervers s’additionnent sous nos yeux. Ils précipitent discrètement l’heure d’une nouvelle crise européenne de l’Alliance atlantique. À la périphérie de l’OTAN se pose désormais la question centrale de sa finalité réelle.
Avant d’être une alliance, l’OTAN opère depuis qu’elle existe comme un alliage : sur le métal lourd des logiciels de la stratégie impériale américaine se greffent les métaux légers des supplétifs  que sont les membres des Etats européens et la Turquie. L’« Atlantique » qui donne son nom à cette machine hybride n’y figure plus que comme le rappel d’un lointain passé : l’OTAN opère en Asie et en Afrique. Cette fois pourtant, le foyer de guerre qui tend à se fixer à la frontière turco-syrienne regarde de très près la géographie européenne. De réserve logistique de l’Alliance, le vieux continent se voit convoqué par le conflit turco-syrien en banlieue stratégique malgré lui. La question gréco-turque de Chypre pouvait jadis le laisser placide. L’horreur de la guerre syrienne répond d’une tout autre échelle, celle de Grosny la ville tchétchène martyre.
Ainsi, en quelques semaines seulement, l’Europe voit lui revenir par effet boomerang, et à risques multipliés, les impondérables créés par la paralysie du Conseil de Sécurité des Nations unies. L’Europe avait, ces dernières années, éloigné la Turquie vers l’Orient, en bloquant le processus d’adhésion à la Communauté (celle des Dix-Sept, celle des Vingt-Sept – peu importe). Par le jeu mécanique des alliances, la guerre civile syrienne ramène la Turquie vers l’Occident – qui n’en veut pas.
Ces courts circuits doivent se lire avec la plus grande attention comme un avant-goût des conflits qui attendent la planète produit de la globalisation : à l’échelle internationale, le processus technique et juridique d’intégration et d’emboîtement des sociétés est si avancé qu’il n’est plus une seule fraction d’humanité qui ne soit la partenaire d’au moins quelques autres, pour une raison quelconque (un oléoduc, une industrie touristique, une campagne caritative, une épidémie de musique, l’OMC). Mais ces formes de connexion restent artificielles : elles ignorent les mouvements de régionalisation et de localisation qui se manifestent en sens inverse, avec autant de résolution que, dans un autre domaine, les partisans de la « décroissance » résistent à l’hégémonie de la Technique Universelle.
Dans ce puzzle multipolaire et transcontinental pataugent les appareils géopolitiques du siècle précédent (dont l’OTAN, bâtie au début de la guerre froide dans la tradition de Metternich émule de Talleyrand). Les alliages qui constituent l’Alliance atlantique ne résisteront pas à la disparité extrême des échelles de ce conflit à sa bordure proche-orientale. Seule une intervention panarabe en Syrie (mais elle n’est plus à l’ordre du jour) aurait pu retarder l’heure de vérité qui sonnait déjà pour l’OTAN au moment de son repli afghan. Au fil des jours qui viennent ne nous manquera certes pas l’occasion d’observer tous les symptômes de cette désorientation. Sous son signe, notre nouveau monde conteste les mésalliances héritées du passé.
J.-L. Evard, 11 octobre 2012

lundi 24 septembre 2012

L'indécision géopolitique

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Comme son nom l’indique, la géopolitique étudie les formes politiques du pouvoir en interrogeant leurs orientations : nous n’agissons qu’en rapport à un horizon. La ligne d’horizon nous aide à calculer nos déplacements à la surface des terres et des mers – défricher, migrer, transporter – mais sa simplicité de coordonnée physique se charge toujours des significations imaginaires que nous projetons en outre sur cette frontière. Si des notions aussi confuses et inconsistantes que « l’Occident » perdurent et organisent nos savoirs et nos histoires de progrès et de déclin, c’est que nous leur confions l’essentiel symbolique de nos images du monde, pures croyances savamment rationalisées et vides de tout véritable contenu rationnel.
Lorsque Chateaubriand, entre Paris et Jérusalem, médite sur les pentes  du Golgotha, il note – et il y insiste – que Christ en croix agonise le visage tourné vers l’ouest, et tournant le dos à l’orient. Nul doute que ce jour-là l’écrivain ne se souvienne aussi de sa traversée de l’Atlantique et de son séjour dans les forêts du « Nouveau Monde » : il y a séjourné en témoin d’une orientation de l’histoire humaine qui dure depuis des siècles et qui, comme un champ de convection à direction constante, semble avoir surgi à Jérusalem pour se répandre sur les terres en visant le ponant plus que l’orient. L’erreur productive de Colomb n’avait fait que renforcer cette théologie géographique puisque, depuis son exploit, la route des Indes nous emmène vers l’Amérique. Nous le rappelle le Christ colossal qui domine de haut la baie de Rio de Janeiro reconnue par les Portugais les premiers : il s’y tient le visage tourné vers l’orient – double pétrifié et symétrique du dieu mourant en sens inverse, et comme pour suggérer que s’est exaucée l’annonce originaire. D’un escarpement à l’autre, de la colline judéenne à la colline amérindienne, les contours géographiques ainsi bornés semblent matérialiser l’imaginaire topographique de l’évangélisation. Par-dessus les océans, les deux Christ, celui de l’ouest et celui de l’est, se font face comme Rome et Byzance aux marches de l’empire. Ce qui néanmoins nous désoriente au moins autant, c’est de savoir que l’évangélisation aura progressé comme une colonisation, celle-ci invoquant même celle-là. Or l’esprit se refuse aujourd’hui à les confondre.
Chateaubriand ne fait lui-même que répéter une opération sémiotique et géographique bien plus ancienne. Arrêtons-nous sur le détail, et nous allons comprendre ce que nous faisons chaque fois que nous nous disons d’Occident : pour nous, et à notre insu, s’orienter et évangéliser ne désignent, de fait, qu’un seul et même geste fondamental. Il suffit de relire Raoul Glaber, le clunisien chroniqueur du XIe siècle, pour le mesurer : « Ceci aussi mérite d’être médité : alors que les conversions à la foi du Christ de nations infidèles se sont souvent produites dans les régions septentrionales et occidentales de notre monde, nous n’avons jamais rien entendu dire de semblable pour les régions de l’est et du sud. Cela avait été signifié, par un présage d’absolue certitude, dans la position de la croix de notre Seigneur, sur le lieu du Calvaire, lorsqu’il y fut suspendu. En effet, derrière sa tête, s’étendait l’orient cruel, avec ses peuples ; il contemplait de ses yeux l’occident, prêt à s’illuminer de la lueur de la foi. Et le signe de sa main droite toute puissante, tendue dans l’œuvre de salut, s’adressait au septentrion, adouci dans la foi du verbe sacré, tandis que sa main gauche désignait le midi et le bouillonnement des peuples barbares. Pourtant, même quand nous nous rappelons brièvement ce signe miraculeux, reste en nous, immuable et inviolable, la certitude de la foi catholique qu’en tous lieux et nations, sans exception, quiconque, régénéré par le baptême sacré, mettra sa foi également dans le Père tout-puissant, dans son Fils Jésus-Christ et dans l’Esprit Saint, comme étant l’unique et véritable Dieu, s’il agit pour le bien dans la foi, Dieu l’acceptera ; et s’il reste dans sa foi, il lui donnera pour l’éternité la vie de béatitude. Il revient à Dieu seul de savoir pourquoi, dans les diverses parties de notre monde, l’homme apparaît plus ou moins capable d’œuvrer à son propre salut. Il nous paraît cependant remarquable que l’Évangile du Christ notre Seigneur, parvenant aux deux frontières de ce monde, au septentrion et à l’occident, y a fondé dans les peuples une base excellente de la foi sacrée [Vikings et Hongrois, précise le traducteur]. Au contraire, aux deux autres frontières du midi et de l’orient, il a pénétré moins profondément, laissant les peuples en proie à l’erreur durable de leur propre barbarie. »
Ainsi pouvons-nous observer comment nous procédons pour nous orienter : pour nous placer comme génération sur le fil des générations (horizon des durées) et comme peuples face à notre outre-monde (méridien des étendues). Que, pour ce faire, nous agissions en théologiens ou en techniciens, peu importe : nous opérons comme les pontifes égyptiens pour qui l’ensevelissement des morts et l’observation des astres composaient une seule et même science exacte, une seule et même technique à deux versants, un sacré, un profane. Certes, la sécularisation battant son plein, nous trouvons nos évangiles ailleurs que dans la Bible, nos prêtres préfèrent la cybernétique aux Écritures, l’immobilité des pharaons leur fait horreur, nos clercs et nos ingénieurs se sont répandus sur les continents et les civilisent. Comme le Crucifié, ils ont quitté la maison de leur père et parcourent le minuscule vaste monde. S’orienter ou dominer ? S’orienter pour dominer. Mais : dominer pour habiter ? ou dominer pour parcourir ? Là subsiste le moment d’indécision de toute pensée géopolitique.
Jean-Luc Evard, 24 septembre 2012