« Les
Vingt-Sept », ai-je écrit dans le billet d’avant-hier, oubliant la
République de Croatie qui, entrée dans l’Union européenne le 1er
juillet dernier, en devenait ainsi le vingt-huitième membre actif.
Méditant
sur les raisons possibles de cette inattention et sur les moyens d’en prévenir
d’autres du même acabit, ou même de moins vénielles, il me vient que l’injuste
soustraction ainsi commise coïncide avec une injuste addition. La nuit
dernière, après un bref suspense, les négociations sur le nucléaire iranien ont
à nouveau achoppé. Rendez-vous fut pris pour le mois de décembre.
Parcourant
les manchettes de la presse qui se juge autorisée à évaluer en connaissance de
cause l’attitude de la diplomatie française – plus « dure » que de
raison, répètent les fiers échotiers –, je remarque l’événement à demi-caché
dans le non-événement de la suspension des tractations qui durent depuis dix
ans : font partie des puissances en palabres et la République française,
représentée par Laurent Fabius, et l’Union européenne, représentée par
Catherine Ashton.
Je
ne suis donc pas le seul à cafouiller, et les transitions que nous traversons
mettent la logique, le langage et le monde à épreuve de plus en plus plus
rude : face à la République islamique d’Iran, chaque État européen ne
compte donc pas pour un, mais pour 1 + 1/28, tandis que la République fédérale
des États-Unis (51 États) ou la fédération de Russie valent chacune une voix et
une seule. À moins que je me trompe et qu’en fait la fraction vaille
multiplication : qu’il faille ajouter au solde positif de l’Union
européenne les 28 voix des 28 membres du club, et que madame Ashton ne s’imagine
parler au nom de 29 unités politiques ? 1 point pour l’Union + 28 points,
si du moins l’on raisonne comme certains des amis d’Alice au pays des
merveilles, ou comme le Vatican, dont le chef, élu par quelques dizaines de
cardinaux, parle, dit-on, au nom d’un milliard de chrétiens.
Seulement,
l’anomalie du 1/28 – ou celle du 29 = 1 – ne relève ni du régime des erreurs ni
de celui des fautes, mais de celui des symptômes éloquents. Elle
signale sans équivoque l’état des lieux : l’inconsistance juridique où s’enferme
un corps politique – l’Union européenne – qui se comprend encore comme la somme
de chacune de ses parties, mais comme une somme… partielle, aussi… partielle
que le transfert ou le partage de souveraineté effectif mais non consommé en
quoi consiste le régime hybride de l’Union depuis la signature du Traité de
Lisbonne. (« Hybride » ? oui, donc incohérent et paralysant.)
Somme par conséquent bancale, bancroche, somme malheureuse, somme encombrée de
son reste insoluble, somme bègue, triste handicap.
Le
1/28 de légalité absurde ainsi mis en scène pèse sans aucun doute plus lourd
que mes bévues de publiciste. Que mes
lecteurs – et ceux de Croatie d’abord – ne m’en excusent pas moins. Quant à ceux d'Iran, ils savent le sérieux de l'affaire : l'arithmétique de l'identité européenne leur rappelle sans doute la géométrie des négociations de paix menées à Paris entre le FNL vietnamien et les diplomates de Kissinger – elles n'avaient pu commencer qu'une fois admise l'exigence des Vietnamiens de substituer une table ronde à celle rectangulaire d'abord proposée aux deux délégations. Sens des nuances venu en droite ligne de la haute école; grand style, auquel la vieille institutrice Europe devrait la première rendre un hommage aussi vibrant que sincère.
J.-L.
Evard, 10 novembre 2013
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