lundi 18 mars 2013

Le petit Grand Israël


La semaine où nous entrons pèsera lourd dans les prochaines années du Proche-Orient géopolitique – au moins autant que les jours maintenant lointains de la signature des  accords d’Oslo. Entre le discours prononcé il y a moins d’une huitaine devant le Parlement européen par le président Peres et l’arrivée imminente du président Obama à Jérusalem, le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU exige aujourd’hui, 18 mars, de Genève, par la voix d’une mission d’experts, l’« arrêt immédiat de la colonisation dans les territoires occupés ».
         Le drame en cours se lit maintenant à fleur de peau, et surtout son accélération. À Strasbourg, Shimon Peres a pressé l’Union européenne de livrer armes et soutien logistique à l’opposition syrienne, plaidant que c’était là le moyen le plus sûr de contenir l’extension régionale de la guerre civile. À Jérusalem, un Netanyahu fort des camouflets déjà infligés à la Maison-Blanche  s’apprête à recevoir un Obama affaibli par ses concessions multipliées ces dernières années à la politique palestinienne d’Israël. À Genève, la diplomatie des Nations unies interpelle Israël comme du temps de Durban : dans son rapport, la mission d’expertise, non seulement entonne et bétonne la rhétorique qui ignore superbement le peu de marge de manœuvre d’Israël face à son hinterland arabe (la formule hypocrite de « territoires occupés », en vigueur depuis juin 1967, aura rendu la géopolitique israélienne inintelligible dans le meilleur des cas, et de plus illégitime a priori), mais encore parle-t-elle d’un « système de ségrégation total », ajoutant ainsi une dimension juridique et idéologique au conflit territorial en cours.
On imagine le reste : tandis que les Etats-Unis renoncent à la présence diplomatique directe ou active (entre autres raisons : faute d’interlocuteurs fiables du côté palestinien, clivé depuis la sécession du Hamas), le nouveau gouvernement israélien s’achemine peu à peu, et de plus en plus vite, vers la construction d’un petit Grand Israël – et s’y emploie maintenant, fort qu’il est de deux atouts de circonstance : sa position de première ligne stratégique dans la question du nucléaire iranien, d’une part, sa position géographique exposée depuis le début de la guerre syrienne.
L’audace géopolitique à même de réduire le danger consiste donc à dire l’évidence à haute voix : plus le temps passe, et moins la « question palestinienne » pèse dans la puissante métamorphose qui travaille les mondes arabe et musulman – ce qui signifie, in concreto, que même l’instauration (tout à fait invraisemblable) d’un quelconque État palestinien jouxtant Israël sur ses flancs méditerranéen et jordanien ne changerait rien, n’aurait rien changé, ni au conflit arabo-arabe, ni à la conflictualité interconfessionnelle au sein du monde musulman. Comment exclure, d’ailleurs, que la spectaculaire assurance du cabinet israélien face à Washington n’ait pas son ressort le plus puissant dans ce discernement même de la situation locale, régionale et théologico-politique ? Si tel n’était pas le cas, le discours de Peres à Strasbourg eût été pour le moins farfelu : donne-t-on des conseils de sagesse stratégique au Vieux Monde quand soi-même on est menacé de figurer sur la liste des indésirables de l’humanisme ?
Un seul aspect de cet imbroglio nous échappe, et le plus décisif : à quoi ressemble l’imaginaire géopolitique du judaïsme américain ? Soyons studieux, lisons, nous le saurons bientôt.
Jean-Luc Evard, 18 mars 2013

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