Dès aujourd’hui, Flavius. La
Quinzaine géopolitique se déplace et invite ses lecteurs sur son nouveau
site, http://www.flavius.eu/.
À quoi bon attendre les communiqués
des agences de presse une fois Hollande et Merkel repartis ce soir du
Kremlin ? Le résultat de leur tête-à-tête avec Poutine se déduit d’avance
des conditions dans lesquelles il a lieu : ils se rendent à Moscou, après
étape à Kiev, et indiquent ainsi qu’ils accordent d’avance à Poutine le
bénéfice net des avantages conquis sur le terrain, avec son soutien explicite,
par les Ukrainiens de l’Est. Le dénouement de la rencontre se lit d’avance, en
bonne et pure langue diplomatique, dans la décisive concession de forme faite
par Paris et Berlin : au lieu de négocier en exterritorialité visible, le
lieu hors champ qui formalise que, dans un conflit, la tierce fonction
d’arbitre possède de facto la
confiance des deux puissances antagonistes, on rend visite aux belligérants –
agresseur et agressé mis ainsi, contre l’évidence, à égalité.
On
objectera peut-être que, ce faisant, Paris et Berlin agissent comme l’aurait
fait un envoyé des Nations Unies, transformé en tour operator de ces ballets sans fin que nous connaissons depuis
des décennies. Les négociateurs au Proche-Orient passent ainsi d’une capitale à
l’autre, d’un aéroport à l’autre, mais aussi ceux des grandes transactions
internationales de toute nature, GATT et autres. La comparaison ne vaut
cependant que de par sa valeur involontaire d’aveu, et détruit elle-même sa
valeur d’argument : si Berlin et Paris ont filé dans ces conditions de
parfaite et inutile improvisation vers Kiev et Moscou, la raison en est
précisément dans la faillite consommée des instances internationales
compétentes en la matière. Qui croirait ou ferait accroire qu’un Conseil de
Sécurité paralysé dans la guerre syrienne par les veto russe et chinois d’il y
a trois ans prétendrait servir à quoi que ce soit d’utile et de crédible dans
la guerre ukrainienne ? Poutine gravit donc, avec un sens indiscutable des
réalités, l’échelle des audaces bien calculées. Sachant tirer parti maintenant
de l’avantage antérieur marqué lors de son indéfectible soutien à Bachar
Al-Assad, il reçoit chez lui Berlin et Paris, montrant ainsi, sans discours pompeux
ou bruyants, qu’il dicte jusqu’aux conditions de forme et de protocole sous
lesquelles la République ukrainienne devra manger son chapeau, ses frontières,
le reste – et d’abord sa dignité.
Ne
considérons que ces apparences de négociation pis que bâclée, ne nous souvenons
même pas que l’affaire ukrainienne eût fourni comme jamais l’occasion d’activer
le triangle dit de Weimar (Paris / Berlin / Varsovie), cette interface de
l’OSCE dans l’Union Européenne et dans chacune de ses moitiés, l’occidentale et
l’orientale. Pour qui sait estimer à sa juste valeur le sens et la puissance de
tout rituel diplomatique, ces apparences se suffisent à elles-mêmes et rendent
superflus les précédents historiques, toujours objet d’enseignement dans les meilleures
écoles. Et si, au message à peine cryptique de ces formes et de ces gestes, on
ajoute le poids spécifique des informations de ces derniers jours (Paris
déclarant, comme Washington, s’opposer à la livraison de matériel militaire à
Kiev, excepté des engins de transmissions, s’opposer aussi à l’inclusion de
l’Ukraine dans l’OTAN et dans l’Union Européenne – Paris ne courant
certainement pas le moindre risque d’une divergence avec Berlin sur ces points
capitaux), on aura vite fait de comprendre que la solitude de Kiev que Flavius évoquait le 29 août dernier n’a
fait que s’accroître et s’aggraver. Non seulement Paris et Berlin négociant à
Moscou le statu quo emballé dans le
principe du cessez-le-feu inscrit au menu vont acquitter Poutine de la
dislocation en cours de la République ukrainienne, mais ils vont aussi donner,
et au nom de l’Union Européenne même si sans son mandat exprès, un atout
stratégique continental et maritime de plus à la Russie 2015.
La Russie
2015 naît de la Russie 2008, des randonnées de ses blindés et de ses agents en
Géorgie et en Abkhazie. Entre ces deux millésimes s’intercale la Russie 2013
faisant bouclier inamovible à Damas, et fonçant, en pleine dévaluation du
rouble, dans l’organisation de la guerre pour les rivages de la mer Noire. La
solitude de l’Ukraine orange ou oligarchique se compose de ces antécédents, la
différence tenant à la nature de l’enjeu : les frontières mêmes de l’Union
Européenne – frontières territoriales (l’Ukraine et la Roumanie ont une
frontière commune) et énergétiques (plus de la moitié du gaz naturel consommé
en RFA provient du sous-sol russe, Gazprom ayant en outre pris la précaution
habile de recruter dans son Conseil d’administration un ancien Chancelier
fédéral, Gerhard Schröder). Concluons donc notre pronostic de court terme par
une anticipation de la même couleur sombre : les esprits dits réalistes
voudraient se consoler en faisant remarquer que l’expansion russe ne fait que
rétablir la « nature des choses », à savoir la position géographique
russe de continent situé entre la mer Baltique et la mer Noire. Nous n’aurons
pas l’insolence de songer trop longtemps que leur réalisme, s’il est sincère,
nous prépare de beaux jours puisque, de l’autre côté de la mer Noire, il y a un
État qui ne compte pas pour rien dans les rangs de l’OTAN, et qui sert déjà,
depuis trois ans, tant de contrefort à la guerre arabo-arabe que de contrepoids
à la poussée kurde : la Turquie d’Erdogan.